1. Histoire de l’école et « diversité »
Au titre de ce premier axe, nous nous demanderons comment la « diversité » (culturelle, sociale, convictionnelle, linguistique, genre, besoins spécifiques, etc.) s’est inscrite dans l’école et dans la formation, au cours de l’histoire ? Les propositions pourront aborder la question des catégorisations à travers lesquelles les diversités (religieuse, linguistique, ethno raciales) ont été pensées dans les différents contextes, au fil de l'histoire. Elles pourront aussi aborder les catégories d'action publique, les catégories organisatrices des différenciations scolaires. Elles pourront d’autre part ouvrir la question de la construction socio-historique des problèmes publics à l'école en matière de diversité.
Une attention plus particulière sera placée sur la manière dont le rapport colonial a pris forme à l’école en son temps. On connait désormais assez finement les pratiques coloniales en matière de choix organisationnels et pédagogiques. L’école coloniale a laissé des archives et des témoignages (Reynaud-Paligot 2020, Depaepe, 2013). On a aussi certaines données sur les pratiques des usagers devant l’école (Mussard 2023). Qu’il s’agisse d’école privée, religieuse, ou d’école publique, la mémoire scolaire des personnes immigrées, autochtones, ou ex-colonisées, ou aussi celle des personnes appartenant aux groupes dominants sont également des sources précieuses pour saisir les rapports sociaux qui configurent la « diversité ». Il arrive que cette expérience s’exprime dans la littérature ou autres pratiques artistiques. Les présentations reposant sur des analyses d’œuvres artistiques – autant que possible des analyses comparatives – seront accueillies.
2. Discours politico-médiatiques sur l’école et politiques éducatives
Dans les contextes marqués par l’assimilationnisme des États-nations, les discours publics sur l’école présentent souvent la diversité ethno-raciale ou religieuse comme source de difficulté et génératrice de risques. On s’intéressera à ce titre aux nouvelles politiques Équité Diversité Inclusion (EDI) menées dans le contexte nord-américain, des USA jusqu’au Canada, et progressivement reprises en Europe notamment dans les établissements universitaires, à leurs motivations et à leurs effets, impacts, et critiques, ainsi qu’à leurs éventuelles translations dans les institutions éducatives européennes. En France, les désordres scolaires sont mis en exergue dans les médias et dans la sphère politique, et rapportés expressément à la présence de jeunes descendants de l’immigration postcoloniale, réputés hostiles aux « valeurs de la République » (Dhume & Cohen 2018). L’idée d’un « problème musulman » a été propagée par des élites dont certaines étaient proches des lieux de la décision scolaire, comme le montrent Hajjat et Mohammed (2013), et l’idée est relayée au sein de l’école (Bozec 2020, Zoïa 2021).
De même, l’imaginaire colonial n’est pas absent des pratiques scolaires à l’égard de ceux nommés en France « élèves allophones nouvellement arrivés » (Armagnague 2019). Le prisme postcolonial peut également aider à décrire les politiques scolaires dans les territoires ultra-marins ou dans les pays ex-colonisés (Allaoui 2008, Benhadjoudja 2017, Zine 2022, Chariet 2020). Plus largement, la colonialité imprègne les relations Nord-Sud au-delà des histoires nationales en tant que telles (Saïd 1978), c’est pourquoi le prisme du colonial pourrait être mobilisé de façon exploratoire s’agissant de systèmes de formation de pays dépourvus d’expérience coloniale directe.
3. Les rapports scolaires comme rapports sociaux
Les rapports entre personnels scolaires et élèves sont des rapports sociaux d’un genre particulier. La sociologie de l’éducation a traditionnellement examiné l’école au prisme des rapports sociaux de classe, depuis les cultural studies (Willis 1977) jusqu’aux théories de la « correspondance » (Bowles & Gintis 1976, Baudelot & Establet 1971). Si cette approche reste centrale, elle doit être articulée avec d’autres « systèmes sociaux d’oppression », dans une perspective intersectionnelle tenant compte aussi des positions scolaires (Verhoeven 2002, Lorcerie 2019, Garric 2024). Les propositions pourront ainsi s’interroger sur la manière d’articuler les modes de la domination et de les recomposer, pour une analyse renouvelée de la diversité dans les rapports sociaux à l’école.
D’autre part, l’histoire du développement de l’école obligatoire a pu être mise en lien avec l’entreprise coloniale, l’enfant étant assimilé au « sauvage » qu’il convient de civiliser (Roland, 2013). Les observations directes en classe sont difficiles, et le cadrage problématique sur lequel s’entendent chercheurs et professionnels observés in situ est rarement issu de la sociologie critique. On dispose par contre d’observations indirectes : des témoignages d’élèves, d’anciens élèves ou d’enseignant.es, des analyses du vécu scolaire mémorisé. On peut aussi avoir du discours de coulisse : une thèse récente, réalisée au sein des écoles, a ainsi révélé l’accoutumance générale des enseignantes au discours racial sur leurs élèves et leurs parents, dans un contexte urbain ségrégué et très paupérisé, où les parents sont en quasi-totalité issus des flux migratoires africains (Foy 2023). Dans des pays où les représentations sociales dominantes demeurent imprégnées de racisme colonial (Lastrego et al. 2023), il n’est pas déraisonnable de penser que ces biais postcoloniaux se retrouvent déclinés dans les relations scolaires.
4. La question de l’injustice épistémique : décoloniser les savoirs
La Rencontre entend caractériser « l’injustice épistémique » (Fricker 2010), qui discrédite systématiquement les savoirs et énoncés des dominés (Catala 2022, Wolfs 2013), dans le domaine de l’éducation scolaire et de la formation.
Cela mène à questionner l’histoire comme narration et moteur dans les visions du monde et l’imaginaire collectif (Ricoeur 1986), et l’affrontement qui s’ensuit dans les narratifs (Matasci et al 2020, Larochelle 2021, Moisan 2010). En Belgique comme en France, l’enseignement de l’histoire coloniale est passé de la glorification de l’œuvre coloniale durant la période coloniale, à l’amnésie après les indépendances, puis à une vision plus critique (Van Nieuwenhuyse 2014, Van Nieuwenhuyse & Valentim 2018, Lantheaume 2002, Bonafoux et al. 2007, De Cock 2018, De Suremain et Mesnard 2021). L’enseignement des œuvres littéraires a également fait une place dans ce laps de temps aux œuvres issues de la francophonie, en particulier africaine. Il reste à interroger en détail les évolutions des programmes et la façon dont ils se déclinent dans l’activité pédagogique. La Suisse même, qui n’a pas de passé colonial, a récemment ouvert le dossier de la colonisation en consacrant en 2020 deux numéros de la revue Sociographe à cette question (Cattacin et Fois, 2020).
L’enseignement des sciences n’est pas en reste. Ainsi, Ideland (2018) analyse finement les formes de colonialité des savoirs présents au sein de manuels scolaires de sciences de son pays, la Suède. Dans ces manuels, un voile pudique est généralement jeté sur les liens entre science et colonialisme, alors que le travail du naturaliste suédois Linné, héros national dans son pays, faisait partie d’un projet de civilisation visant à rendre les plantes plus "européennes", en remplaçant leur nom « barbare » par un nom latin. L’histoire de la science met le plus souvent en avant des hommes blancs du monde occidental, en négligeant la contribution des femmes et celles des personnes racisées. L’image donnée du Sud est d’être en infériorité ou « en développement » et d’avoir besoin de l’instruction que le Nord peut donner.
Par ailleurs, comme toute situation d’oppression, l’injustice épistémique engendre des résistances que nous serons amenés à scruter (Medina 2013)
5. La formation professionnelle et la « diversité »
Enfin la formation des personnels des systèmes éducatifs mérite également d’être lue au prisme de la « diversité » et des rapports sociaux. Si les réformes de la formation, par exemple en Belgique, ou celle en préparation en France, accordent peu de place à cette approche, les propositions pourraient évoquer les expériences menées dans ce sens dans les parcours de formation (Nyambek-Mebenga 2016).
C’est en Amérique latine que Paulo Freire a conçu sa pédagogie de l’opprimé, dans une perspective décoloniale. Cette pratique s’inscrit dans un ensemble de propositions dénommé « pédagogie critique » (De Cock, Pereira 2019). A défaut de pénétrer les systèmes éducatifs, sauf expérimentation limitée (Souyri 2021), ces questionnements ont conquis des espaces de discussion à l’université ou dans des collectifs de praticiens militants (Sud-Education-93 2023). Quelle place les institutions de formation leur font-elles ? Quelle réception rencontrent-ils auprès des formateurs et des formés ? Ou bien, en cas d’absence dans les parcours de formation institués, y a-t-il des demandes de la part des personnels en formation ? Entend-on s’élever une voix des personnels en formation racisés ? La Rencontre de Marseille favorisera les études de cas, ainsi que les comparaisons internationales à ce sujet.
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